Sh. Y. Zevin, Le Besht voyage.

 

 

 

 

 

 

 

Le Bal shem tov, un jour, était assis au troisième repas du shabbat, complètement plongé dans ses pensées; et contrairement à sa manière il n’avait pas donné d’enseignement. Après la bénédiction de havdalah, son habitude était, chaque samedi soir, de se promener un peu en dehors de la ville ; puis aussitôt après il revenait. Ce samedi-soir là, il ordonna de préparer la voiture et les chevaux, de préparer aussi des provisions de route ; de prendre un paquet de vêtements, et que viennent avec lui quelques-uns de ses disciples. (1)

 

Tout cela étonna les familiers et les disciples, et surtout qu’il ne leur dît pas du tout où il allait ; mais naturellement on fit ce qu’il avait dit. Quand on fut sorti des portes de la ville, il ordonna à ses disciples de tourner la tête de son côté, et c’est aussi l’ordre qu’il donna au cocher ; et que les chevaux aillent d’eux-mêmes. Et ainsi fut-il fait. On voyagea toute la nuit par kfitsat haderekh, par raccourci; et quand vint le jour, on arriva dans une grande ville ; les chevaux s’arrêtèrent devant une maison qui était grande et magnifique. Le Besht dit au cocher d’entrer dans la cour avec les chevaux ; le maître de maison se réveilla et vint à leur rencontre. Il salua les voyageurs et leur demanda d’où ils venaient. Ils lui répondirent : « De Volhynie ». Il leur demanda pourquoi ils étaient venus jusqu’à chez lui ? « Si vous êtes des marchands, dit-il, il y a ici des auberges ; et si vous êtes des prédicateurs ambulants, il vous faut aller chez le parnas khodesh, le chef de la communauté ». Le Besht lui répondit : « Que t’importe ? Nous ne resterons ici que seulement quelques heures ».

 

Le Bal shem tov descendit de la voiture, sa pipe à la main, et entra à la cuisine pour y prendre une braise dont il pourrait allumer sa pipe. Une femme, une jeune femme, entra dans la cuisine au même instant, et le Besht lui demanda de prendre une braise et de la placer dans sa pipe ; c’est ce qu’elle fit. Le Besht lui demanda : « Me reconnais-tu ? » Elle dit : « Non ». Il lui dit : « Sache que je suis ton oncle de Mézhibozh ; quelle est ta place ici ? » Elle lui raconta qu’elle avait épousé le fils du maître de la maison, et que son mari était mort ; son beau-père voulait maintenant lui faire épouser un de ses neveux, qui était encore un adolescent; elle n’osait pas le dire à son beau-père, mais cette perspective ne lui plaisait pas. Le Besht lui dit : « Ne te tourmente pas, je te servirai de père. Si tu veux, tu partiras avec moi aujourd’hui, tu viendras chez moi, et je te ferai épouser un homme à ta convenance ». La jeune femme accepta, et le Besht lui dit de se préparer à partir, car ils n’allaient pas s’attarder. Elle alla prendre ses habits et ses bijoux qu’elle mit dans un coffret.

 

Quand le beau-père la vit faire, il lui demanda où elle se préparait à aller si soudainement. Elle lui répondit que cet homme était son oncle, et qu’il voulait l’emmener dans son pays. Le maître de maison se mit en colère contre le Besht, lui courut après et lui dit : « Quelle idée t’est venue de prendre avec toi ma bru, avec tous ses habits et ses bijoux, à mon insu ? » Le Besht le prit à part et lui dit : « Sache que je suis le Bal Shem tov. Je suis sorti hier de ma ville, et j’ai franchi toute cette distance immense par un raccourci. Et voici de quoi il s’agit : ta bru, après la mort de son mari, laissée à elle-même, a couché avec des seigneurs polonais. Il y a peu elle a promis à un ministre de se convertir au christianisme et de l’épouser ; et voici qu’hier, au troisième repas du shabbat, est venu à moi, du monde supérieur, son grand-père qui fut en son temps un tsaddik célèbre, un Grand de sa génération ; il m’a demandé de sauver2 sa petite fille dont l’âme très noble est tombée dans les abîmes démoniaques. Je le lui ai promis. Cette femme a fixé à aujourd’hui le moment où elle partirait avec le ministre, et dans deux heures, celui-ci viendra avec ses soldats pour l’emmener, elle avec tous ses habits et tous ses bijoux, par la force ; et elle abjurera sa foi. Je vais donc te donner un bon conseil, et que Dieu te garde ! Laisse-la partir avec moi et je te promets que tu retrouveras tout ce qui n’est pas à elle et qu’elle a pris.

 

Les paroles du Besht pénétrèrent le cœur du maître de maison et il lui fit confiance. Le Besht prit la femme avec lui et s’en retourna. Et pendant tout le voyage il lui parlait avec affection et elle l’appelait « mon oncle ».

 

A Mezhibozh il la fiança avec un homme honorable et riche. Au moment du mariage, avant le dais nuptial, elle vint trouver le Besht pour se confesser et demander pénitence de ses péchés. Car, le temps qu’elle était restée chez le Besht, tout ce qu’il y avait de mal dans son cœur avait été déraciné. Le Besht vit qu’elle parlait du fond du cœur et il lui dit : « Penses-tu vraiment que je sois ton oncle ? Jamais il n’en a rien été ! Mais parce que tu as fixé le moment où tu abjurerais ta foi, ton grand-père m’a demandé de te sauver ; si tu ne te repens pas comme il faut, certainement tu mourras bientôt. »

 

La femme pleura à grosses larmes et lui demanda de lui donner la pénitence convenable. Il lui dit : « Telle sera ta pénitence : ces épousailles seront annulées, parce que tu n’es pas digne d’épouser un homme comme celui-ci. Tu épouseras un boulanger, et tu vendras des brioches au marché. Toutes les belles choses que t’a données ton beau-père, tu les lui renverras, car il n’a rien à se reprocher, et il ne te les a laissé prendre que parce qu’il me faisait confiance pour sauver ton âme de la mort. »

 

C’ est ce qu’elle fit ; elle accueillit cette pénitence d’un cœur sincère, et devint une femme parfaitement juste. Son grand-père vint visiter le Besht dans un rêve et lui dit : « Puisse ton âme être en paix d’avoir pacifié mon âme ».

 

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1 Zevin, sipure hasidim, § 311.

 

2 Le texte dit réparation, tikkun, au sens cabalistique du terme.

 

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